Le portrait de Dorian Gray (Condition des soies)

De qui ?
Thomas Le Douarec, d'après Oscar Wilde.

De quoi ça parle ?
Qui ne connaît l'histoire de Dorian Gray, qui après avoir servi de modèle pour un tableau, s'arrête sur ce que lui renvoit son portrait : l'image d'un homme jeune et beau, éternellement. Il fait alors le pacte de renoncer à son âme pour rendre éternels ses traits.

Et alors ?
C'était mon dernier spectacle en Avignon cette année, et je voulais une "valeur sûre"... Ce Portrait de Dorian Gray m'en semblait une, en particulier pour m'avoir été recommandé maintes fois sur Paris sans que je ne trouve jamais un créneau pour le voir.

Une fois n'est pas coutume, ma critique n'évoquera que les cinq premières minutes du spectacle. Cinq minutes significatives, suffisantes, pour réaliser que l'on va voir une pièce vraiment spéciale.
Alors que le rideau s'ouvre, à la Condition des Soies, dans un nuage de fumée verte, le spectacle commence dans une ambiance de cabaret musical délicieusement séduisante.
Il y a dès cette première scène, une précision, une élégance, une magie telles, qu'on s'enfonce un peu plus dans son fauteuil, prêt à vivre ce moment avec l'attention qu'il mérite...

Ce prologue lance les prémices de ce que seront les 100 minutes suivantes : une spirale de bons mots, citations de Wilde si frappantes qu'on a envie de prendre des notes pour surtout ne pas les oublier (car elles fusent). Une mise en scène sobre, efficace qui laisse aux comédiens brillants tout le loisir de conter cette histoire universelle, avec justesse, poésie, et c'est une belle surprise, beaucoup d'humour. La musique et la création lumières habillent et magnifient l'ensemble...
Il y a une grâce rare dans ce que Thomas Le Douarec a accompli avec ce spectacle, je m'en rends compte avec ce début qui me laisse sans voix (et je le resterais jusqu'aux applaudissements de fin voir même de longues minutes après avoir quitté le théâtre).

Mais c'est alors que le plus beau s'est produit... Dans l'esthétique si profonde, si vivace de cette introduction, je me demande vaguement à quoi pourra bien ressembler Dorian Gray, incarnation de la jeunesse et de la beauté...
Valentin de Carbonnières apparaît. Il n'incarne rien, il est.


Et dans le trou de mon coeur, le monde entier (Gilgamesh Belleville)

De qui ?
de Stanislas Cotton, mis en scène par Bruno Bonjean.

De quoi ça parle ?
Deux jeunes filles, ados, partagent des secrets en attendant le train, sur le quai. A quelques pas, deux de leurs camarades parlent de filles et de leur avenir. Encore un peu plus loin, un homme rencontre une femme. A moins que ce ne soit l'inverse.
Et soudain sur le quai, arrive une femme armée.

Et alors ?
Il y a dans l'affiche comme dans le titre de ce spectacle un lyrisme qui m'a rendue curieuse, et, je n'ai pas été déçue, que l'on retrouve sur scène.

Des scènes de vie, a priori sans fil conducteur. Des personnages, à mi-chemin entre l'authenticité pure et la caricature nécessaire. Des comédiens qui les incarnent comme s'il avait fallu simplement enfiler un costume dessiné pour eux seuls. Ils sont six.

L'arrivée d'un septième personnage surprend, tout en donnant du sens à ce qui se déroule sous nos yeux depuis le départ, générant la peur, la confusion. Tout comme les protagonistes précédents, elle incarne une réalité, non pas celles des petits tracas et débats quotidiens, mais celle qui nous menace de loin, celle qui peut tuer au hasard au nom d'une idée...

Il y a dans la mise en scène, quelque chose d'un peu trop théâtral, un peu trop chorégraphié, mais qui va si bien au texte parsemé de monologues forts, imagés, que l'on se laisse transporter. Les mots bercent et réveillent à la fois, apaisent tout en faisant réflechir. L'esthétique choisie, pleine de couleurs trop vives, de décors abstraits, renforce cette idée de poésie absolue : on l'écoute, on la voit, on la ressent.

Sur la route de Madison (Théâtre du Chêne Noir)

De qui ?
de Robert James Weller, mis en scène par Anne Bouvier.

De quoi ça parle ?
Adaptée du roman, puis du film culte, la route de Madison est celle d'une rencontre fortuite entre deux personnes. Ils ont déjà un âge avancé, une vie établie, des responsabilités, il ne leur manquait qu'un coup de foudre absolu...

Et alors ?
Je n'avais jamais réellement compris pourquoi ce film, cette histoire, étaient devenus cultes. Et j'avais mis cela sur le compte de la distribution Clint Eastwood/Meryl Streep.

Il m'a fallu voir la pièce pour être moi-même touchée, bouleversée par cette histoire d'amour impossible. Un amour certain, passioné, mais auquel les protagonistes renoncent après s'y être abandonnés.
Il y a quelque chose de si vrai dans la rencontre des deux personnages, joués ici par Clémentine Célarié et Jean-Pierre Bouvier... Mais aussi dans la mise en scène : un décor voyeuriste qui nous plonge dans l'intimité du couple, beaucoup de détails dans les accessoires et les costumes, un jeu de lumières qui nous fait ressentir le temps qu'ils ont à passer ensemble, aussi court qu'intense.

Le texte est très écrit, très poétique, parfois extrême dans la force des aveux de ce couple éphémère, mais l'on y croit tant la magie opère. La salle comble est suspendue aux lèvres des deux amoureux, retenant son souffle et quelques larmes.


Stanley (Théâtre Pandora)

De qui ?
de Cédric Chapuis et Margot Mouth.

De quoi ça parle ?
Stanley Billigan vient d'être arrêté pour avoir agressé et violé trois jeunes femmes sur un campus. Il ne se souvient pas des faits... En fait, aucune de ses personnalités ne s'en souvient.
D'après l'histoire vraie de Billy Stanley Milligan, schyzophrène notoire ayant été jugé en Ohio dans les années 70.

Et alors ?
On ne peut pas parler de Cédric Chapuis sans évoquer la délicieuse claque qu'a été son précédent spectacle, Une vie sur mesure.
Bien que dans un registre différent, Stanley permet à Cédric Chapuis de nous démontrer une nouvelle fois l'étendue de ses talents, sa pluridisciplinarité et par dessus-tout, son don à raconter des histoires.

Celle dont est inspirée le spectacle a donné lieu tout récemment au film Split de Shyamalan, acclamé notamment pour la performance de James McAvoy à incarner les 23 personnalités distinctes de son personnage. Ici, c'est au théâtre, sous l'oeil du spectateur et non plus d'une caméra que Chapuis délivre la même prouesse...

C'est non seulement le jeu qui touche, mais aussi les thèmes abordés : la folie, la souffrance, la violence... La mise en scène est épurée, jouant beaucoup sur les éclairages. Le rythme, lent, posé (peut-être un peu trop sur la première partie du spectacle, d'ailleurs).

Et je ne peux pas ne pas raconter ce beau moment d'interactivité... Les lumières se rallument, les comédiens saluent, sous une salve méritée d'applaudissements.
Cédric Chapuis, déjà assez ému, conseille son autre pièce aux spectateurs. Qui lui répond unanimement avoir déjà vu Une vie sur mesure. On voit sur son visage un sincère étonnement mais surtout un sourire radieux, face aux centaines de gens du public.

Un artiste que l'on a déjà hâte de revoir...

Les illusionistes / Puzzling (Le Palace Avignon)

De qui ?
de Rémy Berthier et Matthieu Villattelle

De quoi ça parle ?
Entre illusions, jeux de cartes, mentalisme et hypnose, laissez vous surprendre par ce duo d'artistes qui ont fait un rêve. Le même rêve.

Et alors ?
Une parenthèse magique avec les Illusionistes, bouffée raffraichissante après avoir vu plusieurs pièces de théâtres plus traditionnelles.

Très fan du genre (et attendant toujours ma lettre pour Poudlard, on ne sait jamais), je me suis laissée instantanément happer par le spectacle alliant plusieurs formes d'expériences, illusions, mentalisme, à beaucoup d'humour et d'autodérision. Ce duo-là mérite le détour, pour la maîtrise qu'ils ont de leur art et la vivacité avec laquelle ils interagissent avec leur public.

Le doute et l'étonnement vous feront sans doute quitter la salle avec plein de questions et d'étoiles dans les yeux.
Une expérience à vivre en famille !

Si j'avais un marteau (Le Palace Avignon)

De qui ?
de Hugo Rezeda.

De quoi ça parle ?
Arnaud partage sa vie entre son entreprise, mais surtout entre sa compagne hôtesse de l'air et sa cliente principale devenue sa maîtresse.
Un quotidien déjà difficile à gérer, qui va encore se compliquer lorsque son petit frère qu'il n'a pas vu depuis des années, débarque pour demander asile. Voilà Arnaud confronté au passé qu'il tentait de fuir, celui où il était poussé par sa famille à devenir le sosie... de Claude François.

Et alors ?
Une pièce que j'ai vu par curiosité...
Un vaudeville aux répliques faciles, à l'intrigue improbable, qu'on regardera pour se vider la tête et sourire de bon coeur.

J'aurai aimé que le thème de Claude François soit abordé plus en profondeur, un peu comme dans le film "Podium", car il n'est ici qu'anecdotique (et musical).

Il y a dans tout le spectacle une belle et sincère autodérision, notamment de la part de Frank Delay (physiquement très loin de ses 43 ans) et de son petit frère joué par le charmant Lucas Radziejewski.

A voir entre copines !

Orphans (Essaïon)

De qui ?
de Lyle Kessler, mis en scène par Sylvy Ferrus

De quoi ça parle ?
Treat, un jeune homme au tempérament violent, élève seul son petit frère Philippe, souffrant d'un léger retard mental. Livrés à eux-mêmes, les deux garçons survivent, jusqu'au jour où Treat ramène un homme chez eux, ivre, dans le but de réclamer une rançon...

Et alors ?
Un huis-clos sublime, à la mise en scène sobre et à l'interprétation boulversante.

Bastien Ughetto, dans le rôle du jeune frère ingénu, déborde de fragilité et d'humanité, tandis que son ainé, interprété par Vincent Simon, dégage charisme et fougue. Les deux se rejoignent sur le besoin de tendresse, de reconnaissance, auquel répondra Etienne Menard.
Le trio de comédiens brille de manière égale pour sa justesse et les émotions qu'il délivre, entre souffrance et espoir. Et amour.

C'est le texte surtout que je retiens de cette pièce, finement écrit, faisant écho à la solitude de chacun, au manque affectif, ponctué cependant de moments drôles et tendres qui nous attachent plus encore à ces personnages écorchés vifs.

Une bien jolie surprise...

Adieu M. Haffmann (Théâtre Actuel)

De qui ?
Jean-Philippe Daguerre.

De quoi ça parle ?
1942 : un bijoutier juif, pour sauver son commerce, décide de mettre à la tête de l'entreprise son jeune employé, le temps que les choses se calment, pendant que lui-même se cachera dans la cave de sa boutique.
L'employé lui propose alors un marché incongru, car lui-même ne rêve que d'une chose, voir sa femme enceinte, malgré la découverte récente de sa stérilité...

Et alors ?
J'ai vu bon nombre des mises en scène de Jean-Philippe Daguerre au cours des dernières années, y appréciant à chaque fois un rythme efficace et une distribution remarquable.
"Adieu M. Haffmann", la première pièce où je le découvre auteur, allie à ces mêmes éléments une histoire haletante et des enjeux captivants.
La mise en scène, la lumière, le trio de personnages principaux, tout nous accroche de la première à la dernière minute. La pudeur du bijoutier, sous les traits d'Alexandre Bonstein, l'impulsivité de son employé, joué par le séduisant Charles Lelaure, les tourments de son épouse, interprétée par la douce Julie Cavanna...

L'Histoire en toile de fond ne fait qu'ajouter à la tension de la situation choisie par le couple de partager un lourd secret contre un autre tout aussi pesant.

Un spectacle dont le succès, mérité, ne fait que commencer...




Histoire du cinéma en 1h15 pétantes (Théâtre Notre Dame)

De qui ?
Le collectif Yddgrasil, mise en scène de Pierre-Hudo Proriol.

De quoi ça parle ?
6 comédiens s'apprêtent à assister à la Première de leur film, mais là, c'est le drame. Le projectioniste annonce 75 minutes de réparations, sous l'oeil menaçant du Producteur du film qui exige de sa jeune troupe un divertissement pendant ce temps.

Et alors ?
Une bien belle idée que ce spectacle, gérée avec un dynamisme et un enthousiasme qui font mouche.

Si je reste un peu sur ma faim concernant le prétexte à cette fable, tant le prologue que l'épilogue, je n'ai pas boudé mon plaisir pendant la reconstitution des 150 ans d'histoire du 7ème art. La troupe se donne à fond pendant le temps imparti, entre explications techniques et parodies des plus grands chefs d'oeuvre du cinéma. Une énergie et des références qui ne peuvent que parler à la trentenaire que je suis...

Le rythme est un peu inégal, avec notamment la proposition de monologues plus "sérieux", qui bien qu'interprétés avec justesse, arrivent un peu comme des cheveux sur la soupe.
L'ensemble reste léger, frais : divertissant.

A conseiller notamment à des familles avec ados...


Ah tu verras (Théâtre des Vents)


          
De qui ?
Didier Gustin, mis en scène par Hubert Drac.

De quoi ça parle ?
On ne présente plus l'imitateur Didier Gustin, qui dans ce spectacle nous propose un hommage à Nougaro. Devenu portier de la maison de campagne du chanteur toulousain, Gustin accueille de nombreuses célébrités venues chercher la "source d'inspiration" de Nougaro.

Et alors ?
L'imitation est une de mes disciplines de spectacle favorites... Ce don de faire vivre ou revivre un artiste par la voix. Didier Gustin est incontestablement l'un des plus brillants dans ce domaine.
Il nous offre de plus dans ce spectacle un vrai fil conducteur.
J'ai mis quelques minutes à me repérer dans la narration, mais on se prend rapidement au jeu pour suivre l'histoire et surtout, les changements de personnages opérés par Gustin : Stéphane Bern, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Joey Starr, Lucchini, Patrick Sébastien, vont se succéder sous nos yeux et pour notre plus grand plaisir, reprenant de manières parfois déconcertantes les plus grands succès de Nougaro.

En plus des imitations, c'est donc un "best of" qui nous est proposé, avec des chansons que chacun connait ("Armstrong", "Toulouse", "Le jazz et la java", ...) mais certaines que j'ai entendu et apprécié pour la première fois ("Je suis sous"). Sur scène, l'imitateur est accompagné de deux musiciens en live. La mise en scène est complétée par quelques accessoires et un écran de projection, pour un rendu sobre et efficace. Le propos, l'atmosphère, tendent plus souvent vers la poésie et l'émotion que vers le comique et la parodie...

Très rythmé, ce spectacle dure tout juste une heure, avec pour ma part un coup de coeur particulier à l'imitation de Renaud, réussie et bouleversante.